En 2011, Guillaume Barth traverse le Sahara, puis sa fascination pour les déserts s’affirme quand il découvre en 2013 l’existence du Salar d’Uyuni en Bolivie. Situé à 3 700 mètres d’altitude, il est le plus grand désert de sel au monde et aussi l’une des
plus grandes réserves de Lithium, utilisé en médecine, mais aussi surnommé l’or blanc des Andes car probablement une ressource très importante pour

la prochaine révolution énergétique d’ici 20 ans. Soumis à des conditions climatiques extrêmes, il est impossible d’habiter sur le Salar. Sa superficie est morcelée en territoires appartenant aux communautés vivant à sa périphérie. Au Nord du désert, installé au pied du volcan Tunupa dont le sommet culmine à 5 400 mètres d’altitude, se situe le petit village d’indiens Aymara de Tahua.
Guillaume, alors en pleine exploration et réflexion personnelle découvre une propriété unique de ce désert : au moment des premières pluies, le Salar se transforme en miroir naturel – le plus grand du monde assurément. La ligne d’horizon devenant alors le seul repère, le désert dévoile son épochè annuelle lors d’un moment suspendu et éphémère, puis le miroir disparaît à nouveau. Guillaume fait alors un premier voyage de repère en 2013, rencontre les indiens Aymara, et obtient les autorisations pour pouvoir travailler dans le désert.
Alors germe son idée, l’embryon d’un concept qui va le tenir pendant deux ans, avec ce sentiment ineffable qu’ont parfois les artistes de défier toute rationalité afin de réaliser un rêve, une vision.
Partir en Bolivie donc, au coeur du désert de sel pour y construire une sculpture hémisphèrique en briques de sel, elle aussi. Une sculpture qui ne se révèlera pleinement qu’avec les premières pluies qui la fera alors se dédoubler en miroir, révélant ainsi sa forme sphérique finale, une manifestation étrange, comme un nouvel astre flottant au milieu du monde oublié. Une apparition, une histoire de polarité qui se rééquilibre, ou l’invisible devient visible et lisible.
Elina sera donc une nouvelle planète, de 3 mètres de diamètre. Son nom hérité du Grec « Hélê » éclat du soleil et des symboles Li, lithium et Na, sodium sont les éléments qui la composent. L’eau de pluie qui révèlera la sphère sera aussi responsable de
sa disparition, car Elina sera éphémère, et une fois dissoute, ne laissera voir que cette eau infinie comme origine et fin de toute chose, nous rappelant le cycle du temps. Le land art historiquement aime parfois laisser des traces durables, or ici il n’en restera aucune. Tout aura fondu, et sera revenu à la source de sel et à l’eau primordiale.

Retour pour Guillaume en 2015, il ressent le besoin de réaliser cette vision de l’impermanence et plonge dans l’inconnu pour y arriver. Il se fait alors aider par deux complices : l’artiste Thomas Lasbouygues qui développera une fiction filmée autour de la nouvelle planète ainsi que François Klein, ami de longue date et photographe qui effectuera le travail documentaire du projet.

Le 2 Janvier 2015 sans qu’il le sache, le besoin impératif d’eau amène les indiens Aymara à invoquer alors la pluie dans un rituel complexe.
Dans une synchronicité troublante, trois jours après, cette sculpture évanescente prend alors forme et vie. Le voile se dissipe, la ligne d’horizon infinie se dessine, la jointure entre ciel et terre se fait et Elina, le concept-ovule apparaît un matin sous la forme d’une petite planète née au coeur de la planète.

Image subliminale en apparence simple et paradoxale, légère, mais potentiellement très intense dans ce qu’elle raconte, elle s’offre à la vue et il s’agit de ne pas la rater ! Guillaume, fasciné, prend alors un vélo et tourne autour, dessine un ourobouros, des cercles qui dansent, il l’admire, la filme et la prend en photo pour que nous puissions prendre nous aussi conscience de sa manifestation. Son tour de magie est un cri de vie, une vie éphémère comme toutes les vies sur terre, mais néanmoins bien présente. Guillaume a choisi l’espace le moins viable, mais symboliquement le plus chargé : si le sel pimente et stimule l’appétit, il aiguillonne aussi l’esprit.
Un sol de sel par définition ne produit rien, il est stérile, nul ne peut y habiter et rien ne peut y pousser. Signe de mort assuré pour le monde végétal mais signe de vie pour le règne animal, le sel est lié au rituel depuis l’antiquité, son alliance avec le divin est une vieille affaire et cristallise toutes sortes de fantasmes et projections – négatives comme positives. Alors une sculpture en sel qui se dédouble cellulairement dans un désert de sel transmuté en mer / miroir ne peut que nous parler, piquer l’inconscient collectif, attirer et fasciner. S’agit-il ici d’un dialogue amoureux et impossible entre la nymphe Echo et Narcisse, ou d’un rituel de fertilité ? D’une quête de soi entre monde objectif et subjectif, d’un réajustement, ou de la réalisation effective d’un générateur d’énergie ? Que se passe-t-il ?
Elina a pris la forme d’un objet métaphysique concret car cette oeuvre nous parle de la manière de recréer la vie dans un monde statique.
Elle parle de conscience de soi, de mouvement, de régénération et de guérison, d’une fécondation en fluidité au coeur d’une réalité invivable.
Cette oeuvre, en forme de genèse de la première cellule oeuf primordiale (le zygote) se développant au coeur d’un monde aride nous parle d’un processus intime et délicat de re-création du monde, et donc de soi – et de l’effort nécessaire à tout changement, qui est la source de la transformation de la réalité dont nous faisons tous subjectivement l’expérience.

Elina nous parle de comment nous ajuster, elle est une invitation au méditatif, à la plongée introspective et à la contemplation active afin d’embrasser la vie. Guillaume Barth nous donne un modèle de fonctionnement concret et poétique en recréant et réinventant sa réalité au sein du monde phénoménal. Il prend un nouveau départ et se sert de ce chemin vivant du tour, il nous montre qu’il est possible de réaliser un générateur exponentiel de conscience, de soi et du monde, dans un élan d’une générosité certaine. Il ne s’est pas changé en statue de sel, son alchimie personnelle l’a amené à réaliser un changement d’état, car la vie n’est que changement permanent. Il est en phase avec notre époque.
La philosophie se doit de repenser l’infini, là ou l’art se le permet depuis longtemps. La science s’ouvre lentement à l’irrationnel, à l’inacceptable pour notre culture occidentale dualiste : à savoir que le soi et le monde ne sont pas séparés, que nous créons notre réalité, assurément, simplement en la pensant, en la désirant, avec nos systèmes de croyances, et toutes les preuves tangibles de la correspondance entre esprit et matière sont là pour nous inviter à faire notre expérience au coeur des ces constats.
Mais les artistes comme Guillaume créent au coeur de ces variables, d’une manière empirique et symbolique non pas abstraite mais très effective, en réalisant un poème vibrant qui parle de la création et de la réalisation de soi, et c’est une chose bien trop rare pour ne pas la souligner.

Il n’est pas étonnant que cette image-manifestation en forme d’∞ redressé en 8, qui après être retournée au vide fasse sa vie d’embryogenèse, et qu’elle grandisse et se répande en inspirant autour d’elle.

— Joachim Montessuis,
Texte d’introduction de la publication « Elina » octobre 2018