Voyageur assidu, Guillaume Barth est un être ouvert à envisager une vaste manière de concevoir le monde pour se redécouvrir terrien au sein de la nature sauvage, où il est permis d’être soi-même, sans retenue et sans jugement. Ses trajets autour du globe sont habituellement marqués par des rencontres hasardeuses qui, chaque fois, sont transformantes et révélatrices de vie. Il aura vu juste en dérivant des limites des conventions urbaines pour explorer des zones forestières inspirantes du Lac-Saint-Jean.
Phénomènes scientifiques, le temps se dilate et l’espace se contracte. Relevant du relativisme de la perception, l’expérience que les regardeurs auront pu vivre de l’installation Quitter la Terre dépendait des sensations ressenties à l’intérieur de celle-ci et du vécu personnel à chacun. Dans le passage du sas d’entrée argenté de la salle, on pouvait entendre la bande sonore Tourbillon, captée à un point précis des eaux tourbillonnantes de la Pointe des Américains (48°32'28.122"N 71°36'59.648"O), exactement là où se rencontrent les courants des rivières Saguenay, Petite Décharge et Grande Décharge. Obliger le regardeur à marcher sur cette courte traversée, c’était l’avertir d’une expérience créatrice de remous intérieur.
Ce passage suréclairé, fait de matières réfléchissantes et aseptisées associées au secteur aérospatial, donnait sur la sculpture CapsulQuit’ dont les parois en couvertures de survie aluminées laissaient transparaître une lumière intérieure quasi aveuglante. L’aluminium est un matériau conducteur, symbole des connexions qui nous relient entre nous, aux autres êtres vivants et aux forces de la nature. Chaque année, lorsque le temps froid fait son arrivée à Alma, il n’est plus question que de conserver la chaleur, la vie. Dans cet incubateur de fortune posé sur un grand cercle bleu, entre ciel et terre, les voyageurs pouvaient se laisser bercer par l’accalmie et par une impression d’intemporalité. La CapsulQuit’ aurait-elle pu faire atteindre un état de conscience d’une « réalité plus réelle que la réalité » (Artaud)? De forme ovoïdale ou utérine, l’habitacle sculptural invitait à une renaissance, à un état de communion avec le cosmos… à un état d’illumination. Le visiteur devait s’attendre à une expérience déstabilisante aussi mentale que physique provoquée par divers stimuli : marcher sur du papier bulle, grimper à une échelle et se bercer à près d’un mètre du sol, faire face à la noirceur puis être enveloppé d’une chaude lumière réfléchissante. Ceux qui s’aventuraient dans cet instant d’évasion pouvaient goûter à l’impossible : quitter la Terre.
Faisant face à l’engin, le dessin intitulé Forêt légendaire devenait une fenêtre ouverte sur une temporalité encore plus grande à concevoir que celle de l’existence humaine. À titre de légende, la forêt dessinée laissait planer le mystère sur la perception des notions de commencement et de fin selon l’expérience d’immersion vécue dans l’installation. L’arbre y était interprété à l’encre noire comme une présence personnifiée et la forêt, comme une foule, qui donnait la sensation de ne pas être laissé seul avec soi-même.
Arrachés de leur litière forestière lors de la première marche en forêt de l’artiste à Alma (48°35'30.77"N 71°45'538.596"O), les champignons ont eux aussi littéralement quitté la terre sous l’action de la cueillette. La série de trente dessins sur papier imbibé de l’encre de leur décomposition présentait des formes imprévisibles évoluant au fil des semaines. D’apparence ovoïde, les coprins noirs d’encre ressemblent par leur physionomie à la CapsulQuit’ et, comme tout végétal, tendent à croître vers le ciel. Les traces produites par leur disparition s’apparentaient à des résidus de combustion – du décollage de la capsule, qui sait.
Au sortir du dispositif, notre perception du monde pouvait être transformée : obliger le regardeur à revenir sur ses pas au sortir de la salle, c’était lui faire prendre conscience du chemin parcouru et du changement opéré. L’œuvre de Barth a quelque chose de métaphysique, puisqu’à l’issue de l’exposition Quitter la Terre il aura été possible pour certains visiteurs à l’écoute de saisir au détail près les intentions artistiques et la profonde humanité de l’artiste. Par quitter, on peut entendre s’envoler, s’évader ou se séparer : Quitter la terre était une traversée unique à laquelle il fallait s’ouvrir pour en vivre et en comprendre tous les sens.
— Mariane Tremblay,
résidences croisées Alma Québec.